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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je remerciai le roi de ses bontés, en admirant les illusions de ce monde. Quand la société croule, quand les monarchies finissent, quand la face de la terre se renouvelle, Charles établit à Prague un gouvernement en France, de l’avis de son conseil entendu. Ne nous raillons pas trop : qui de nous n’a sa chimère ? qui de nous ne donne la becquée à de naissantes espérances ? qui de nous n’a son gouvernement in petto, de l’avis de ses passions entendues ? La moquerie m’irait mal à moi l’homme aux songes. Ces Mémoires, que je barbouille en courant, ne sont-ils pas mon gouvernement, de l’avis de ma vanité entendue ? Ne crois-je pas très sérieusement parler à l’avenir, aussi peu à ma disposition que la France aux ordres de Charles X ?

Le cardinal Latil, ne se voulant pas trouver dans la bagarre, était allé passer quelques jours chez le duc de Rohan. M. de Foresta[1] passait mystérieusement, un portefeuille sous le bras ; madame de Bouillé me faisait des révérences profondes, comme une personne de parti, avec des yeux baissés qui voulaient

    laquelle il s’employa avec beaucoup de dévouement, malgré son grand âge.

  1. Foresta (Marie-Joseph, marquis de) avait été, sous la Restauration, préfet de divers départements et gentilhomme honoraire de la chambre du roi. Esprit cultivé, fin et délicat, il avait fait, bien jeune encore, ses preuves littéraires. À l’âge de vingt-deux ans, il avait publié et dédié à la duchesse de Berry deux volumes tout remplis d’aperçus ingénieux, de récits charmants et de réflexions d’une maturité précoce, intitulés : Lettres sur la Sicile. Jusqu’à sa mort, arrivée le 11 février 1858, il resta attaché à la personne du comte de Chambord. C’était le type accompli du gentilhomme chrétien. Voyez sur lui les premiers chapitres de l’ouvrage du P. de Chazournes sur Albéric de Foresta, de la Compagnie de Jésus, fondateur des Écoles apostoliques. Un volume in-18, 1880.