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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

heur s’était offert à moi dans mon enfance. Ombre de mes vieux parents, je ne vous attendais pas sur ces bords ! Vous vous rapprochez de moi, parce que je m’approche de la tombe, votre asile ; nous allons nous y retrouver. Ma bonne tante, chantez-vous encore aux rives du Léthé votre chanson de l’Épervier et de la Fauvette ? Avez-vous rencontré chez les morts le volage Trémigon, comme Didon aperçut Énée dans la région des mânes ?

Quand je partis de Woknabrück le jour finissait ; le soleil me remit entre les mains de sa sœur : double lumière d’une teinte et d’une fluidité indéfinissables. Bientôt la lune régna seule : elle avait envie de renouer notre entretien des forêts de Haselbach ; mais je n’étais pas en train d’elle. Je lui préférai Vénus, qui se leva à deux heures du matin le 25 ; elle était belle comme parmi ces aurores où je la contemplais en l’implorant sur les mers de la Grèce.

Laissant à droite et à gauche force mystères de bosquets, de ruisseaux, de vallées, je traversai Lambach, Wells et Neüban, petites villes toutes neuves avec des maisons sans toit, à l’italienne. Dans l’une de ces maisons on faisait de la musique ; de jeunes femmes étaient aux fenêtres : du temps des Maroboduus,[1] cela ne se passait pas ainsi.

Aux villes d’Allemagne, les rues sont larges, alignées, comme les tentes d’un camp ou les files d’un bataillon ; les marchés sont vastes, les places d’armes spacieuses : on a besoin de soleil, et tout se passe en public.

  1. Maroboduus (et non Maraboduus, comme l’ont imprimé les précédentes éditions), roi des Germains, dont il est parlé au livre second des Annales de Tacite.