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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Ferrare, 18 septembre 1833.

L’envie s’était empressée de répandre son poison sur des plaies ouvertes. L’Académie de la Crusca avait déclaré : « que la Jérusalem délivrée était une lourde et froide compilation, d’un style obscur et inégal, pleine de vers ridicules, de mots barbares, ne rachetant par aucune beauté ses innombrables défauts. » Le fanatisme pour Arioste avait dicté cet arrêt. Mais le cri de l’admiration populaire étouffa les blasphèmes académiques : il ne fut plus possible au duc Alphonse de prolonger la captivité d’un homme qui n’était coupable que de l’avoir chanté. Le pape réclama la délivrance de l’honneur de l’Italie.

Sorti de prison, le Tasse n’en fut pas plus heureux. Léonore était morte. Il se traîna de ville en ville avec ses chagrins. À Lorette, près de mourir de faim, il fut au moment, dit un de ses biographes, « de tendre la main qui avait bâti le palais d’Armide ». À Naples, il éprouva quelques doux sentiments de patrie. « Voilà, disait-il les lieux d’où je suis parti enfant… Après tant d’années, je reviens blanchi, malade à ma rive native. »

Partii fanciullo.  .  .   E donde
Partii fanciullo, or dopo tanti lustri
Torno .  .  .  .  .  .  .  .  .  
Canuto ed egro alle native sponde.

Il préféra à des demeures somptueuses une cellule au couvent de Montoliveto. Dans un voyage qu’il fit à Rome, la fièvre l’ayant saisi, un hôpital fut encore son refuge.

De Rome et de Florence revenu à Naples, s’en pre-