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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qu’on ne peut s’empêcher de griffonner. J’ai pris la plume, ignorant ce que j’allais écrire, et j’ai barbouillé cette description, trop longue au moins d’un tiers : si j’ai le temps, je l’abrégerai.

Je dois demander pardon à mes amis de l’amertume de quelques-unes de mes pensées. Je ne sais rire que des lèvres ; j’ai le spleen, tristesse physique, véritable maladie ; quiconque a lu ces Mémoires a vu quel a été mon sort. Je n’étais pas à une nagée du sein de ma mère que déjà les tourments m’avaient assailli. J’ai erré de naufrage en naufrage ; je sens une malédiction sur ma vie, poids trop pesant pour cette cahute de roseaux. Que ceux que j’aime ne se croient donc pas reniés ; qu’ils m’excusent, qu’ils laissent passer ma fièvre : entre ces accès, mon cœur est tout à eux.

J’en étais là de ces pages décousues, jetées pêle-mêle sur ma table et emportées par le vent que laissent entrer mes fenêtres ouvertes, lorsqu’on m’a remis la lettre et la note suivantes de madame la duchesse de Berry : allons, rentrons encore une fois dans la seconde partie de ma double vie, la partie positive.

« De la citadelle de Blaye, 7 mai 1833.

« Je suis péniblement contrariée du refus du gouvernement de vous laisser venir auprès de moi, après la double demande que j’en ai faite. De toutes les vexations sans nombre qu’il m’a fallu éprouver, celle-ci est sans doute la plus pénible. J’avais tant de choses à vous dire ! tant de conseils à vous réclamer ! Puisqu’il faut renoncer à vous voir, je vais du