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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

elle peut l’obtenir par l’arbitraire mieux que la légitimité. Faire du despotisme avec des paroles de liberté et de prétendues institutions royalistes, c’est tout ce qu’elle veut ; chaque fait accompli enfante un droit récent qui combat un ancien droit, chaque heure commence une légitimité. Le temps a deux pouvoirs : d’une main il renverse, de l’autre il édifie. Enfin le temps agit sur les esprits par cela seul qu’il marche ; on se sépare violemment du pouvoir, on l’attaque, on le boude ; puis la lassitude survient ; le succès réconcilie à sa cause : bientôt il ne reste plus en dehors que quelques âmes élevées, dont la persévérance met mal à l’aise ceux qui ont failli.

« Madame, ce long exposé m’oblige à quelques explications devant Votre Altesse Royale.

« Si je n’avais fait entendre une voix libre au jour de la fortune, je ne me serais pas senti le courage de dire la vérité au temps du malheur. Je ne suis point allé à Prague de mon propre mouvement ; je n’aurais pas osé vous importuner de ma présence : les dangers du dévouement ne sont point auprès de votre auguste personne, ils sont en France : c’est là que je les ai cherchés. Depuis les journées de Juillet je n’ai cessé de combattre pour la cause légitime. Le premier, j’ai osé proclamer la royauté de Henri V. Un jury français, en m’acquittant, a laissé subsister ma proclamation. Je n’aspire qu’au repos, besoin de mes années ; cependant je n’ai pas hésité à le sacrifier lorsque des décrets ont étendu et renouvelé la proscription de la famille royale. Des offres m’ont été faites pour m’attacher au gouver-