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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fermi la propriété en en contenant les abus, ranimé l’industrie, diminué l’impôt, rétabli notre honneur chez les peuples, et assuré, par des frontières reculées, notre indépendance contre l’étranger ; quel beau jour que celui-là, où, après toutes ces choses accomplies, mon élève eût dit à la nation solennellement convoquée :

« Français, votre éducation est finie avec la mienne. Mon premier aïeul, Robert le Fort, mourut pour vous, et mon père a demandé grâce pour l’homme qui lui arracha la vie. Mes ancêtres ont élevé et formé la France à travers la barbarie ; maintenant, la marche en avant, le progrès de la civilisation ne permettent plus que vous ayez un tuteur. Je descends du trône ; je confirme tous les bienfaits de mes pères en vous déliant de vos serments à la monarchie. » Dites si cette fin n’aurait pas surpassé ce qu’il y a de plus merveilleux dans cette race ? Dites si jamais temple assez magnifique aurait pu être élevé à sa mémoire ? Comparez-la, cette fin, à celle que feraient les fils décrépits de Henri IV, accrochés obstinément à un trône submergé dans la démocratie, essayant de conserver le pouvoir à l’aide des mesures de police, des moyens de violence, des voies de corruption, et traînant quelques instants une existence dégradée ? « Qu’on fasse mon frère roi, disait Louis XIII enfant, après la mort de Henri IV, moi je ne veux pas être roi. » Henri V n’a d’autre frère que son peuple : qu’il le fasse roi.

Pour arriver à cette résolution, toute chimérique qu’elle semble, il faudrait sentir la grandeur de sa race, non parce qu’on est descendu d’un vieux sang,