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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

manque de foi, chicaner sur un titre, sur un peu plus, sur un peu moins d’or ou d’honneurs. Bonaparte, réduit à lui-même, était réduit à sa gloire, et cela lui devait suffire : il n’avait rien à demander aux hommes ; il ne traitait pas assez despotiquement l’adversité ; on lui aurait pardonné d’avoir fait du malheur son dernier esclave. Je ne trouve de remarquable dans sa protestation contre la violation de l’hospitalité que la date et la signature de cette protestation : « À bord du Bellérophon, à la mer. Napoléon. » Ce sont là des harmonies d’immensité.

Du Bellérophon, Bonaparte passa sur le Northumberland. Deux frégates chargées de la garnison future de Sainte-Hélène l’escortaient. Quelques officiers de cette garnison avaient combattu à Waterloo. On permit à cette explorateur du globe de garder auprès de lui M. et madame Bertrand, MM. de Montholon[1],

  1. Charles-Tristan, comte de Montholon (1783-1853). Il était général de brigade à la chute de l’Empire, en 1814. Resté fidèle à la cause bonapartiste, malgré les sollicitations de M. de Sémonville, son beau-père, marié avec sa mère, Mme de Montholon, et celles du maréchal Macdonald, son beau-frère, qui le pressaient de se rallier à la Restauration, il rejoignit Napoléon, revenant de l’île d’Elbe, dans sa marche sur Paris, fut nommé adjudant-général, se battit bravement à Waterloo, et, avec sa femme et ses enfants, accompagna l’empereur à Sainte-Hélène. De retour en France, il dut se réfugier en Belgique, à la suite de spéculations commerciales qui furent malheureuses (1828). En 1840, il prit part à l’échauffourée de Boulogne, fut condamné par la Cour des pairs à vingt ans de détention et enfermé au château de Ham ; il en sortit après l’évasion du prince Louis-Napoléon. Les électeurs de la Charente-Inférieure l’envoyèrent en 1849 à l’Assemblée législative. Il a publié avec le général Gourgaud les célèbres Mémoires pour servir à l’Histoire de France sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène sous sa dictée par les généraux qui ont partagé sa captivité (années 1823 et