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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

monter au nid de l’aigle, l’autre revêtir la pourpre. On a dit de celui-ci qu’il avait été voué au rouge, ayant porté l’habit de chambellan, l’uniforme de chevau-léger de la garde et la robe de cardinal.

Le duc de Rohan était fort joli ; il roucoulait la romance, lavait de petites aquarelles et se distinguait par une étude coquette de toilette. Quand il fut abbé, sa pieuse chevelure, éprouvée au fer, avait une élégance de martyr. Il prêchait à la brune, dans des oratoires sombres, devant des dévotes, ayant soin, à l’aide de deux ou trois bougies artistement placées, d’éclairer en demi-teinte, comme un tableau, son visage pâle.

    de Napoléon, il fut sous Louis XVIII officier de mousquetaires. Il avait épousé en 1809 Mlle de Sérent, qui mourut tragiquement. Le 9 janvier 1815, comme elle se préparait à aller dîner chez la duchesse d’Orléans, douairière, elle s’approcha de la cheminée ; le feu prit aux dentelles de sa robe ; lorsqu’on arriva dans sa chambre, les flammes s’élevaient de trois pieds au-dessus de sa tête. Elle mourut le lendemain après d’atroces souffrances et dans les sentiments de la foi la plus vive. Son mari renonça au monde, embrassa l’état ecclésiastique et devint en peu de temps grand vicaire de Paris, archevêque d’Auch, puis de Besançon, et enfin cardinal. Il quitta la France après la révolution de 1830, mais il rentra dans son diocèse en 1832, lors de l’invasion du choléra, et succomba peu après aux atteintes du fléau. Mme Lenormant a tracé de M. de Rohan-Chabot en 1813 le portrait qu’on va lire : « Il était dans toute la fleur de la jeunesse, et avait, en dépit d’une nuance de fatuité assez prononcée, la plus charmante, la plus délicate, je dirais presque la plus virginale figure qui se pût voir. La tournure de M. de Chabot était parfaitement élégante : sa belle chevelure était frisée avec beaucoup d’art et de goût ; il mettait une extrême recherche dans sa toilette ; il était pâle, sa voix avait une grande douceur. Ses manières étaient très distinguées, mais hautaines. Il avait peu d’esprit, mais, quoique dépourvu d’instruction, il avait le don des langues ; il en saisissait vite, et presque musicalement, non point le génie, mais l’accent. »