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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nait à bon droit de l’obstination qu’elle mettait à lui interdire l’entrée de son château de Coppet : blessée de la résistance de madame de Staël, pour laquelle elle s’était déjà sacrifiée, elle n’en persistait pas moins dans sa résolution de la rejoindre.

Toutes les lettres qui auraient dû retenir madame Récamier ne firent que la confirmer dans son dessein : elle partit et reçut à Dijon ce billet fatal :

« Je vous dis adieu, cher ange de ma vie, avec toute la tendresse de mon âme. Je vous recommande Auguste[1] : qu’il vous voie et qu’il me revoie. Vous êtes une créature céleste. Si j’avais vécu près de vous, j’aurais été trop heureuse : le sort m’entraîne. Adieu[2]. »

Madame de Staël ne devait plus retrouver Juliette que pour mourir. Le billet de madame de Staël frappa d’un coup de foudre la voyageuse : fuir subitement, s’en aller avant d’avoir pressé dans ses bras celle qui accourait pour se jeter dans ses adversités, n’était-ce point de la part de madame de Staël une résolution cruelle ? Il paraissait à madame Récamier que l’amitié aurait pu être moins entraînée par le sort.

Madame de Staël alla chercher l’Angleterre en traversant l’Allemagne et la Suède[3] : la puissance de

  1. Auguste-Louis de Staël-Holstein, fils aîné de Mme de Staël, né à Paris le 31 août 1790, mort à Coppet le 11 novembre 1827. Il s’occupa spécialement d’agronomie et d’améliorations sociales. Ses œuvres, recueillies par sa sœur, la duchesse de Broglie, ont été publiées en 1829 (3 vol. in-8o).
  2. Ce billet, dont Chateaubriand n’indique pas la date, fut écrit au moment où Mme de Staël allait quitter la Suisse pour se rendre en Allemagne. Elle partit de Coppet le 23 mai 1812. (Dix années d’exil, 2e partie, chapitre V).
  3. Partie de Coppet, comme nous venons de le voir, le 23 mai 1812,