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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Entre 1784 et 1793 s’étend la carrière littéraire de Napoléon, courte par l’espace, longue par les travaux. Errant avec les corps d’artillerie dont il faisait partie à Auxonne, à Dôle, à Seurres, à Lyon, Bonaparte était attiré à tout endroit de bruit comme l’oiseau appelé par le miroir ou accourant à l’appeau. Attentif aux questions académiques, il y répondait ; il s’adressait avec assurance aux personnes puissantes qu’il ne connaissait pas ; il se faisait l’égal de tous avant d’en devenir le maître. Tantôt il parlait sous un nom emprunté, tantôt il signait son nom qui ne trahissait point l’anonyme. Il écrivait à l’abbé Raynal, à M. Necker ; il envoyait aux ministres des mémoires sur l’organisation de la Corse, sur des projets de défense de Saint-Florent, de la Mortella, du golfe d’Ajaccio, sur la manière de disposer le canon pour jeter des bombes. On ne l’écoutait pas plus qu’on n’avait écouté Mirabeau lorsqu’il rédigeait à Berlin des projets relatifs à la Prusse et à la Hollande. Il étudiait la géographie. On a remarqué qu’en parlant de Sainte-Hélène il la signale par ces seuls mots : « Petite île. » Il s’occupait de la Chine, des Indes, des Arabes. Il travaillait sur les historiens, les philosophes, les économistes, Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile, Filangieri, Mably, Smith ; il réfutait le Discours sur l’origine et les fondemants de l’égalité de l’homme et il écrivait : « Je ne crois pas cela ; je ne crois rien de cela. » Lucien Bonaparte raconte que lui, Lucien, avait fait deux copies d’une histoire esquissée par Napoléon. Le manuscrit de cette esquisse s’est retrouvé

    30 octobre 1785. Le régiment de la Fère était un régiment d’artillerie ; il était alors en garnison à Valence.