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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Amis et adversaires s’unissaient donc pour poser sa candidature, et il lui devenait impossible de s’y soustraire. Les adversaires étaient même plus pressants que les amis, s’il en faut croire une lettre de Chateaubriand lui-même, écrite à M. Abel le 29 septembre 1815, et où nous trouvons ces lignes : « J’avais reçu l’ordre du duc de Rovigo de me présenter pour candidat à l’Institut, sous peine d’être renfermé à Vincennes pour le reste de mes jours. »[1]

Il commença donc ses visites. Il y a plus d’une manière de faire les visites académiques. On peut les faire, par exemple, à la façon de Sainte-Beuve, façon si bien décrite par Théodore Pavie, dans une lettre à son frère Victor :

« … À travers la fumée d’un long et noir cigare de Tuti-Corin, j’avisai dans la rue un petit monsieur en lévite brune, élégamment taillée ; sur la tête un étroit chapeau placé comme le tien, sur le sommet du crâne, mais reposant sur une espèce de chiendent roux et collé aux tempes. Il précédait à pied un cabriolet de remise auquel il signalait de la main la route à suivre, tandis que lui-même s’arrêtait à toutes les bornes,

Comme fait un toutou qu’on lâche le matin.

C’était ce cher Delorme, en visite d’académicien, joufflu et rouge comme une pomme d’api avant les gelées, pareil en tout à celui qui, d’après la chanson badine de Musset, serait grand chantre à Saint-Thomas d’Aquin. Quand il est en tenue, notre ami ressemble un peu trop à un instituteur primaire ou à un notaire de campagne… »[2]

Chateaubriand fit ses visites d’une façon plus cavalière, en gentilhomme. Un contemporain, le député Auguis, rédacteur en son temps du Journal de Paris et du Courrier français, aimait à raconter comment les choses se passèrent. Chateaubriand se rendit à cheval chez ses futurs

  1. Charavay, Vente d’autographes, du 15 juillet 1878 (Collection Fillon, sections V à VIII, no 1173, p, 129).
  2. Cartons de Victor Pavie : correspondance de Théodore Pavie.