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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

venu de Vienne pour travailler avec l’empereur. Après quelques moments d’entretien, il me dit : « Je vais passer la revue ; restez dans mon cabinet ; vous rédigerez cette note que je verrai après la revue. » Je restai dans son cabinet avec M. de Méneval, son secrétaire intime ; il rentra bientôt. — « Le prince de Lichtenstein, me dit Napoléon, ne vous a-t-il pas fait connaître qu’on lui faisait souvent la proposition de m’assassiner ? — Oui, sire ; il m’a exprimé l’horreur avec lequel il rejetait ces propositions. — Eh bien ! on vient d’en faire la tentative. Suivez-moi. » J’entrai avec lui dans le salon. Là étaient quelques personnes qui paraissaient très agitées et qui entouraient un jeune homme de dix-huit à vingt ans, d’une figure agréable, très douce, annonçant une sorte de candeur, et qui seul paraissait conserver un grand calme. C’était l’assassin. Il fut interrogé avec une grande douceur par Napoléon lui-même, le général Rapp servant d’interprète. Je ne rapporterai que quelques-unes de ses réponses, qui me frappèrent davantage.

« Pourquoi vouliez-vous m’assassiner ? — Parce qu’il n’y aura jamais de paix pour l’Allemagne tant que vous serez au monde. — Qui vous a inspiré ce projet ? — L’amour de mon pays. — Ne l’avez-vous concerté avec personne ? — Je l’ai trouvé dans ma conscience. — Ne saviez-vous pas à quels dangers vous vous exposiez ? — Je le savais ; mais je serais heureux de mourir pour mon pays. — Vous avez des principes religieux ; croyez-vous que Dieu autorise l’assassinat ? — J’espère que Dieu me pardonnera en faveur de mes motifs. — Est-ce que, dans