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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

quelques Suisses de sa garde ; c’était trop : il fallait un prétexte à une dernière violence ; on le trouva dans un incident ridicule, qui pourtant offrait une preuve naïve d’affection : des pécheurs du Tibre avaient pris un esturgeon ; ils le veulent porter à leur nouveau saint Pierre aux Liens ; aussitôt les agents français crient à l’émeute ! et ce qui restait du gouvernement papal est dispersé. Le bruit du canon du château Saint-Ange annonce la chute de la souveraineté temporelle du pontife[1]. Le drapeau pontifical abaissé fait place à ce drapeau tricolore qui dans toutes les parties du monde annonçait la gloire et les ruines. Rome avait vu passer et s’évanouir bien d’autres orages : ils n’ont fait qu’enlever la poussière dont sa vieille tête est couverte.


Le cardinal Pacca[2], un des successeurs de Consalvi qui s’était retiré, courut auprès du saint-père. Tous les deux s’écrient : Consummatum est ! Le neveu du cardinal, Tibère Pacca, apporte un exemplaire imprimé du décret de Napoléon ; le cardinal prend le décret, s’approche d’une fenêtre dont les volets fermés ne laissaient entrer qu’une lumière insuffisante, et veut lire le papier ; il n’y parvient qu’avec peine,

  1. Le 10 juin 1809.
  2. Barthélemy Pacca (1756-1844), cardinal-doyen du Sacré-Collège. Il devint en 1808 le principal ministre de Pie VII, rédigea et fit afficher la bulle d’excommunication lancée contre Napoléon en 1809, fut enlevé de Rome en même temps que le Souverain Pontife, et enfermé au fort de Fénestrelle. Il rejoignit le Pape à Fontainebleau en 1813, le détermina à rétracter les concessions qu’il venait de faire par le Concordat du 25 janvier et rentra avec lui à Rome en 1814. Il a laissé d’intéressants Mémoires.