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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Cologne me remit en mémoire Caligula et saint Bruno[1] : j’ai vu le reste des digues du premier à Baïes, et la cellule abandonnée du second à la Grande-Chartreuse.

Je remontai le Rhin jusqu’à Coblentz (Confluentia). L’armée des princes n’y était plus. Je traversai ces royaumes vides, inania regna ; je vis cette belle vallée du Rhin, le Tempé des muses barbares, où des chevaliers apparaissaient autour des ruines de leurs châteaux, où l’on entend la nuit des bruits d’armes, quand la guerre doit survenir.

Entre Coblentz et Trèves, je tombai dans l’armée prussienne : je filais le long de la colonne, lorsque, arrivé à la hauteur des gardes, je m’aperçus qu’ils marchaient en bataille avec du canon en ligne ; le roi[2] et le duc de Brunswick[3] occupaient le centre du carré, composé des vieux grenadiers de Frédéric. Mon uniforme blanc attira les yeux du roi : il me fit appeler ; le duc de Brunswick et lui mirent le chapeau à la

  1. Caligula était fils d’Agrippine, laquelle avait agrandi Cologne : d’où le nom romain de la ville : Colonia agrippina. — Saint Bruno, fondateur de l’ordre des Chartreux, était né à Cologne vers 1030. Après avoir été revêtu de plusieurs dignités ecclésiastiques et avoir refusé l’archevêché de Reims (1080), il se retira avec six de ses compagnons dans un désert voisin de Grenoble, aujourd’hui appelé la Chartreuse (1084), et y fonda un monastère.
  2. Frédéric-Guillaume II, neveu du grand Frédéric, auquel il avait succédé en 1786. Il mourut en 1797.
  3. Charles-Guillaume-Ferdinand, duc de Brunswick-Lunebourg (1735-1806), général au service de la Prusse. Il commandait en chef les armées coalisées contre la France en 1792. Ayant repris un commandement en 1805, il fut battu à Iéna et mortellement blessé d’un coup de feu près d’Auerstædt (14 octobre 1806).