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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

L’abbé Émery, estimé de Bonaparte, était fin par sa nature, par sa robe et par la Révolution ; mais cette triple finesse ne lui servait qu’au profit de son vrai mérite ; ambitieux seulement de faire le bien, il n’agissait que dans le cercle de la plus grande prospérité d’un séminaire. Circonspect dans ses actions et dans ses paroles, il eût été superflu de violenter l’abbé Émery, car il tenait toujours sa vie à votre disposition, en échange de sa volonté qu’il ne cédait jamais : sa force était de vous attendre, assis sur sa tombe.

Il échoua dans sa première tentative ; il revint à la charge, et sa patience me détermina. J’acceptai la place qu’il avait mission de me proposer, sans être le moins du monde convaincu de mon utilité au poste où l’on m’appelait : je ne vaux rien du tout en seconde ligne. J’aurais peut-être encore reculé, si l’idée de madame de Beaumont n’était venue mettre un terme à mes scrupules. La fille de M. de Montmorin se mourait ; le climat de l’Italie lui serait, disait-on favorable ; moi allant à Rome, elle se résoudrait à passer les Alpes : je me sacrifiai à l’espoir de la sauver. Madame de Chateaubriand se prépara à me venir rejoindre ; M. Joubert parlait de l’accompagner, et madame de Beaumont partit pour le Mont-Dore, afin d’achever ensuite sa guérison au bord du Tibre.

M. de Talleyrand occupait le ministère des relations extérieures ; il m’expédia ma nomination[1]. Je dînai

  1. La lettre de Talleyrand, notifiant à l’auteur du Génie du Christianisme sa nomination de secrétaire, est du 19 floréal, an XI (9 mai 1803). En voici le texte :

    « Je m’empresse, citoyen, de vous envoyer une copie de l’arrêté par lequel le Premier Consul vous nomme secrétaire de la légation de la République à Rome. Vos talents et l’usage que