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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

enjouée, causeuse, railleuse. Elle avait aimé un comte de Trémigon, lequel comte, ayant dû l’épouser, avait ensuite violé sa promesse. Ma tante s’était consolée en célébrant ses amours, car elle était poète. Je me souviens de l’avoir souvent entendue chantonner en nasillant, lunettes sur le nez, tandis qu’elle brodait pour sa sœur des manchettes à deux rangs, un apologue qui commençait ainsi :


Un épervier aimait une fauvette
Et, ce dit-on, il en était aimé,


ce qui m’a paru toujours singulier pour un épervier. La chanson finissait par ce refrain :


Ah ! Trémigon, la fable est-elle obscure ?
Ture lure.


Que de choses dans ce monde finissent comme les amours de ma tante, ture, lure !

Ma grand’mère se reposait sur sa sœur des soins de la maison. Elle dînait à onze heures du matin, faisait la sieste ; à une heure elle se réveillait ; on la portait au bas des terrasses du jardin, sous les saules de la fontaine, où elle tricotait, entourée de sa sœur, de ses enfants et petits-enfants[1]. En ce temps-là, la vieillesse était une dignité ; aujourd’hui elle est une charge. À quatre heures, on reportait ma grand’mère dans son

  1. « Dans les jardins en terrasse de cette maison, qui sert maintenant de presbytère à la paroisse de Nazareth, se voit encore la fontaine entourée de saules, où l’aïeule de Chateaubriand venait respirer le frais en tricotant au milieu de ses enfants et petits-enfants. » Du Breil de Marzan, Impressions bretonnes sur les funérailles de Chateaubriand et sur les Mémoires d’outre-tombe, 1850.