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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Les femmes nous servirent un repas. L’hospitalité est la dernière vertu restée aux sauvages au milieu de la civilisation européenne ; on sait quelle était autrefois cette hospitalité ; le foyer avait la puissance de l’autel.

Lorsqu’une tribu était chassée de ses bois, ou lorsqu’un homme venait demander l’hospitalité, l’étranger commençait ce qu’on appelait la danse du suppliant ; l’enfant touchait le seuil de la porte et disait : « Voici l’étranger ! » Et le chef répondait : « Enfant, introduis l’homme dans la hutte. » L’étranger, entrant sous la protection de l’enfant, s’allait asseoir sur la cendre du foyer. Les femmes disaient le chant de la consolation : « L’étranger a retrouvé une mère et une femme ; le soleil se lèvera et se couchera pour lui comme auparavant. »

Ces usages semblent empruntés des Grecs : Thémistocle, chez Admète, embrasse les pénates et le jeune fils de son hôte (j’ai peut-être foulé à Mégare l’âtre de la pauvre femme sous lequel fut cachée l’urne cinéraire de Phocion[1]) ; et Ulysse, chez Alcinoüs, implore Arété : « Noble Arété, fille de Rhexénor, après avoir souffert des maux cruels, je me jette à vos pieds…[2] » En achevant ces mots, le héros s’éloigne et va s’asseoir sur la cendre du foyer. — Je pris congé du vieux sachem. Il s’était trouvé à la prise de Québec. Dans les honteuses années du règne de Louis XV, l’épisode de la guerre du Canada vient nous consoler comme une page de notre ancienne histoire retrouvée à la Tour de Londres.

  1. Vie de Phocion, par Plutarque.
  2. L’Odyssée, chant VII. — Arété était la femme d’Alcinoüs.