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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

accourues dans la rue Bourg-l’Abbé avant l’amour ? L’imagination se peut exercer à l’aise sur un tel sujet. Mêlez aux inventions du poète le chœur populaire, les fossoyeurs arrivant, les corbeaux et l’épée de Bassompierre, un superbe mélodrame sortira de l’aventure.

Vous admirerez aussi la chasteté et la retenue de ma jeunesse à Paris : dans cette capitale, il m’était loisible de me livrer à tous mes caprices, comme dans l’abbaye de Thélème où chacun agissait à sa volonté ; je n’abusai pas néanmoins de mon indépendance : je n’avais de commerce qu’avec une courtisane âgée de deux cent seize ans, jadis éprise d’un maréchal de France, rival du Béarnais auprès de mademoiselle de Montmorency, et amant de mademoiselle d’Entragues, sœur de la marquise de Verneuil, qui parle si mal de Henri IV. Louis XVI, que j’allais voir, ne se doutait pas de mes rapports secrets avec sa famille.


Le jour fatal arriva ; il fallut partir pour Versailles plus mort que vif. Mon frère m’y conduisit la veille de ma présentation et me mena chez le maréchal de Duras, galant homme dont l’esprit était si commun qu’il réfléchissait quelque chose de bourgeois sur ses belles manières : ce bon maréchal me fit pourtant une peur horrible.

Le lendemain matin, je me rendis seul au château. On n’a rien vu quand on n’a pas vu la pompe de Versailles, même après le licenciement de l’ancienne maison du roi : Louis XIV était toujours là.

La chose alla bien tant que je n’eus qu’à traverser les salles des gardes : l’appareil militaire m’a tou-