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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mon frère me ramena à mon hôtel ; il donna des ordres pour mon dîner et me quitta. Je dînai solitaire, je me couchai triste. Je passai ma première nuit à Paris à regretter mes bruyères et à trembler devant l’obscurité de mon avenir.

À huit heures, le lendemain matin, mon gros cousin arriva ; il était déjà à sa cinquième ou sixième course. « Eh bien ! chevalier, nous allons déjeuner ; nous dînerons avec Pommereul, et ce soir je vous mène chez madame de Chastenay. » Ceci me parut un sort, et je me résignai. Tout se passa comme le cousin l’avait voulu. Après déjeuner, il prétendit me montrer Paris, et me traîna dans les rues les plus sales des environs du Palais-Royal, me racontant les dangers auxquels était exposé un jeune homme. Nous fûmes ponctuels au rendez-vous du dîner, chez le restaurateur. Tout ce qu’on servit me parut mauvais. La conversation et les convives me montrèrent un autre monde. Il fut question de la cour, des projets de finances, des séances de l’Académie, des femmes et des intrigues du jour, de la pièce nouvelle, des succès des acteurs, des actrices et des auteurs.

Plusieurs Bretons étaient au nombre des convives, entre autres le chevalier de Guer[1] et Pommereul. Celui-ci était un beau parleur, lequel a écrit quelques

  1. Julien-Hyacinthe de Marnière, chevalier de Guer, fils cadet de Joseph-Julien de Marnière, marquis de Guer, et d’Angélique-Olive de Chappedelaine, né à Rennes le 25 mars 1748. Il émigra en 1791, fit une campagne à l’armée des princes et passa ensuite en Angleterre. En 1795, il rentra en France, et on le retrouve alors à Lyon, où il est un des agents les plus actifs du parti royaliste. Obligé de repasser en Angleterre, il ne revint que sous le Consulat et publia, de 1801 à 1815, plusieurs écrits sur des matières financières, économiques et politiques. Préfet du