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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je ne puis me défendre d’une certaine confusion en retrouvant mon nom dans les dernières lignes tracées par la main du vénérable historien de Julie[1]. Qu’ai-je affaire avec mes faiblesses auprès de si hautes perfections ? Ai-je tenu tout ce que le billet de ma sœur m’avait fait promettre, lorsque je le reçus pendant mon émigration à Londres ? Un livre suffit-il à Dieu ? n’est-ce pas ma vie que je devrais lui présenter ? Or, cette vie est-elle conforme au Génie du Christianisme ? Qu’importe que j’aie tracé des images plus ou moins brillantes de la religion, si mes passions jettent une ombre sur ma foi ! Je n’ai pas été jusqu’au bout ; je n’ai pas endossé le cilice : cette tunique de mon viatique aurait bu et séché mes sueurs. Mais, voyageur lassé, je me suis assis au bord du chemin : fatigué ou non, il faudra bien que je me relève, que j’arrive où ma sœur est arrivée.

Il ne manque rien à la gloire de Julie : l’abbé Carron a écrit sa vie ; Lucile a pleuré sa mort.


Quand je retrouvai Julie à Paris, elle était dans la pompe de la mondanité ; elle se montrait couverte de ces fleurs, parée de ces colliers, voilée de ces tissus

  1. La Vie de Julie de Chateaubriand se termine en effet par ces lignes : « Mlle de Chateaubriand n’était pas fille unique : hélas ! la postérité, en s’attachant à ce nom célèbre, dira les victimes qu’il rappelle, victimes d’un dévouement sans bornes à l’autel et au trône. Un de ses frères, avec tant d’autres braves, avait quitté le sol de la patrie quand sa sœur y périt ; elle avait vu la tombe s’ouvrir devant elle, et ce fut de ses bords qu’elle fit tenir, à ce frère si chéri et si digne de l’être, le dernier gage de sa tendresse. Écoutons-le nous raconter l’effet que cet envoi touchant fit sur son cœur. » (Suivait un extrait de la Préface de la première édition du Génie du Christianisme.)