Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/241

Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cacher moi-même pour porter en paix mon innocence.

Nous avancions vers Paris. À la descente de Saint-Cyr, je fus frappé de la grandeur des chemins et de la régularité des plantations. Bientôt nous atteignîmes Versailles : l’orangerie et ses escaliers de marbre m’émerveillèrent. Les succès de la guerre d’Amérique avaient ramené des triomphes au château de Louis XIV ; la reine y régnait dans l’éclat de la jeunesse et de la beauté ; le trône, si près de sa chute, semblait n’avoir jamais été plus solide. Et moi, passant obscur, je devais survivre à cette pompe, je devais demeurer pour voir les bois de Trianon aussi déserts que ceux dont je sortais alors.

Enfin, nous entrâmes dans Paris. Je trouvais à tous les visages un air goguenard : comme le gentilhomme périgourdin, je croyais qu’on me regardait pour se moquer de moi. Madame Rose se fit conduire rue du Mail, à l’Hôtel de l’Europe, et s’empressa de se débarrasser de son imbécile. À peine étais-je descendu de voiture, qu’elle dit au portier : « Donnez une chambre à ce monsieur. — Votre servante, » ajouta-t-elle, en me faisant une révérence courte. Je n’ai de mes jours revu madame Rose.


Une femme monta devant moi un escalier noir et roide, tenant une clef étiquetée à la main ; un Savoyard me suivit portant ma petite malle. Arrivée au troisième étage, la servante ouvrit une chambre ; le Savoyard posa la malle en travers sur les bras d’un fauteuil. La servante me dit : « Monsieur veut-il quelque chose ? » — Je répondis : « Non. » Trois coups