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VII
INTRODUCTION

de la cheminée, la pendule absente n’eût pas été remplacée par un vase de fleurs, par une branche toujours verte de fraxinelle ou de chêne.

C’est dans ce salon qu’eut lieu, au mois de février 1834, la lecture des Mémoires. L’assemblée, composée d’une douzaine de personnes seulement, renfermait des représentants de l’ancienne France et de la France nouvelle, des membres de la presse et du clergé, des critiques et des poètes, le prince de Montmorency, le duc de la Rochefoucauld-Doudeauville, le duc de Noailles, Ballanche, Sainte-Beuve, Edgar Quinet, l’abbé Gerbet, M. Dubois, ancien directeur du Globe, un journaliste de province, Léonce de Lavergne, J.-J. Ampère, Charles Lenormant, Mme  Amable Tastu et Mme  A. Dupin. On arrivait à deux heures de l’après-midi, Chateaubriand portant à la main un paquet enveloppé dans un mouchoir de soie. Ce paquet, c’était le manuscrit des Mémoires. Il le remettait à l’un de ses jeunes amis, Ampère ou Lenormant, chargé de lire pour lui, et il s’asseyait à sa place accoutumée, au côté gauche de la cheminée, en face de la maîtresse de la maison. La lecture se prolongeait bien avant dans la soirée. Elle dura plusieurs jours.

On pense bien que les initiés gardèrent assez mal un secret dont ils étaient fiers et ne se firent pas faute de répandre la bonne nouvelle. Jules Janin, qui n’était point des après-midi de l’Abbaye-au-Bois, mais qui possédait des intelligences dans la place, sut faire causer deux ou trois des heureux élus ; comme il avait une mémoire excellente et une facilité de plume merveilleuse, en quelques heures il improvisa un long article, qui est un véritable tour de force, et que la Revue de Paris s’empressa d’insérer[1].

Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Léonce de Lavergne, qui avaient assisté aux lectures ; Désiré Nisard et Alfred Nettement, à qui Chateaubriand avait libéralement ouvert ses

  1. Revue de Paris, t. III, mars 1834.