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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

promis et je sautais aux yeux du téméraire ; la taille et l’âge n’y faisaient rien. Spectateur du combat, mon ami applaudissait à mon courage, mais ne faisait rien pour me servir. Quelquefois il levait une armée de tous les sautereaux qu’il rencontrait, divisait ses conscrits en deux bandes, et nous escarmouchions sur la plage à coups de pierres.

Un autre jeu, inventé par Gesril, paraissait encore plus dangereux : lorsque la mer était haute et qu’il y avait tempête, la vague, fouettée au pied du château, du côté de la grande grève, jaillissait jusqu’aux grandes tours. À vingt pieds d’élévation au-dessus de la base d’une de ces tours, régnait un parapet en granit, étroit, glissant, incliné, par lequel on communiquait au ravelin qui défendait le fossé : il s’agissait de saisir l’instant entre deux vagues, de franchir l’endroit périlleux avant que le flot se brisât et couvrît la tour. Voici venir une montagne d’eau qui s’avançait en mugissant, laquelle, si vous tardiez d’une minute, pouvait ou vous entraîner, ou vous écraser contre le mur. Pas un de nous ne se refusait à l’aventure, mais j’ai vu des enfants pâlir avant de la tenter.

Ce penchant à pousser les autres à des rencontres dont il restait spectateur, induirait à penser que Gesril ne montra pas dans la suite un caractère fort généreux ; c’est lui néanmoins qui, sur un plus petit théâtre, a peut être effacé l’héroïsme de Régulus ; il n’a manqué à sa gloire que Rome et Tite-Live. Devenu officier de marine, il fut pris à l’affaire de Quiberon ; l’action finie et les Anglais continuant de canonner l’armée républicaine, Gesril se jette à la nage, s’approche des vaisseaux, dit aux Anglais de cesser le