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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

La messe commença : à l’offertoire, le célébrant se tourna vers moi et lut des prières ; après quoi on m’ôta mes habits blancs, qui furent attachés en ex voto au-dessous d’une image de la Vierge. On me revêtit d’un habit couleur violette. Le prieur prononça un discours sur l’efficacité des vœux ; il rappela l’histoire du baron de Chateaubriand, passé dans l’Orient avec saint Louis ; il me dit que je visiterais peut-être aussi, dans la Palestine, cette Vierge de Nazareth à qui je devais la vie par l’intercession des prières du pauvre, toujours puissantes auprès de Dieu[1]. Ce moine, qui me racontait l’histoire de ma famille, comme le grand-

    femme qui m’avait sauvé de la mort, et l’enfant qui avait sucé le même lait que moi ; la grande dame ma mère était à la porte, la paysanne dans le sanctuaire. » Manuscrit de 1826.

  1. « Quand cela fut fait, on acheva de célébrer la messe ; ma mère communia après le prêtre, et très certainement ses vœux cherchèrent à détourner sur moi les grâces que cette communion devait répandre sur elle. Combien il est essentiel de frapper l’imagination des enfants, par des actes de religion ! Jamais dans le cours de ma vie je n’ai oublié le relèvement de mon vœu. Il s’est présenté à ma mémoire au milieu des plus grands égarements de ma jeunesse ; je m’y sentais attaché comme à un point fixe autour duquel je tournais sans pouvoir me déprendre. Depuis l’exhortation du bénédictin, j’ai toujours rêvé le pèlerinage de Jérusalem, et j’ai fini par l’accomplir. Il est certain que la plupart des actes religieux, nobles par eux-mêmes, laissent au fond du cœur de nobles souvenirs, nourrissent l’âme de sentiments élevés et disposent à aimer les choses belles et touchantes ; que de droit la religion n’avait-elle donc pas sur moi ! Ne devait-elle pas me dire : « Tu m’as été consacré dans ta jeunesse, je ne t’ai rendu à la vie que pour que tu devinsses mon défenseur. La dépouille de ton innocence, trempée des larmes de ta mère, repose encore sur mes autels ; ce ne sont pas tes vêtements qu’il faut suspendre à mes temples, ce sont tes passions. Consacre-moi ton cœur et tes chagrins, je bénirai ta nouvelle offrande. » Sainte religion, voilà ton langage ; toi seule pourrais remplir le vide que j’ai toujours senti en moi, et guérir cette tristesse qui