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que les meschans acquierent abusans de leur puissance. Les conditions d’un bon prince et d’un tyran sont toutes notoirement dissemblables et aisées à distinguer. Elles reviennent toutes à ces deux poincts : l’un garder les loix de Dieu et de nature, ou les fouler aux pieds ; l’autre faire tout pour le bien public et profict de ses subjects, ou faire tout servir à son profict et plaisir particulier. Or le prince, pour estre tel qu’il doibt, faut qu’il se souvienne tousiours que comme la felicité est de pouvoir tout ce que l’on veust, aussi est-ce vraye grandeur de vouloir tout ce que l’on doibt : (…). Le plus grand malheur qui puisse arriver à un prince, c’est de croire qu’il luy est loysible tout ce qu’il peust et luy plaist. Sitost qu’il a consenty à ce pensement, de bon il devient meschant. Or, ceste opinion leur vient des flatteurs, qui ne manquent jamais à leur prescher tousiours la grandeur de leur pouvoir ; et bien peu y a de fideles serviteurs qui leur osent dire l’obligation de leur debvoir. Mais il n’y a au monde plus dangereuse flatterie que celle qui se faict à soy-mesme : quand c’est un mesme le flatteur