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y puise trop : (…). Il faut aussi faire filer tout doucement la liberalité, et non donner tout à coup. Car ce qui se faict si vistement, tant grand soit-il, est quasi insensible et s’oublie bientost. Les choses plaisantes se doibvent exercer à l’aise et tout doucement pour avoir loysir de les gouster ; les rudes et cruelles (s’il en faut faire) au rebours se doibvent vistement avaller. Il y a donc de l’art et de la prudence à bien donner et exercer liberalité : (…). Et, pour en dire la verité, la liberalité n’est pas proprement des vertus royales : elle se porte bien avec la tyrannie mesme. Et les gouverneurs de la jeunesse des princes ont tort d’imprimer si fort à leur esprit et volonté ceste vertu de largesse, de ne rien refuser, et ne penser rien bien employé que ce qu’ils donnent (c’est leur jargon). Mais ils le font à leur profict, ou n’advisent pas à qui ils parlent ; car il est trop dangereux d’imprimer la liberalité en celuy qui a de quoy fournir autant qu’il veust aux despens d’autruy. Un prince prodigue ou liberal sans discretion et sans mesure, est encore pire que l’avare : et l’immoderée largesse rebute