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Ils prenoient plaisir à promener leurs esprits en des inventions plaisantes et subtiles : (…). Quelquesfois aussi ils ont estudié à la difficulté, pour couvrir la vanité de leur subject, et occuper la curiosité des esprits. Les dogmatistes et affirmatifs, qui sont venus depuis, d’esprit pedantesque, presomptueux, hayssent et condamnent arrogamment ceste reigle de sagesse, aymant mieux un affirmatif testu et contraire à leur party, qu’un modeste et paisible qui doubte et surseoit son jugement, c’est-à-dire un fol qu’un sage : semblables aux femmes qui ayment mieux qu’on les contredise jusques à injures, que si par froideur et mespris l’on ne leur disoit rien ; par où elles pensent être desdaignées et condamnées. En quoy ils montrent leur iniquité. Car pourquoy ne sera-il loysible de doubter et considerer comme ambiguës les choses sans rien determiner, comme à eux d’affirmer ? Mais pourquoy ne sera-il permis de candidement confesser que l’on ignore, puis que en verité l’on ignore, et tenir en suspens ce de quoy ne sommes asseurez ? Voyci donc la premiere liberté d’esprit, surseance et arrest de jugement ; c’est la plus seure assiette et l’estat plus heureux de nostre esprit, qui par elle demeure droict, ferme, rassis, inflexible, sans bransle et agitation aucune : (…). C’est à peu près et en quelque sens l’ataraxie des pyrrhoniens, qu’ils appellent le souverain bien ; la neutralité et indifference des academiciens,