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sçait ; et practiqua ce sien dire en soy-mesme ; car sollicité par ses amis de plaider devant ses juges pour sa justification, et pour sauver sa vie, voyci l’harangue qu’il leur fit : messieurs, si je vous prie de ne me faire poinct mourir, j’ay peur de m’enferrer et parler à mon dommage ; car je ne sçay que c’est de mourir, ny quel il y faict : ceux qui craignent la mort presupposent la cognoistre : quant à moy, je ne sçay quelle elle est, ny ce qu’on faict en l’autre monde ; à l’adventure la mort est chose indifferente, à l’adventure chose bonne et desirable. Les choses que je sçay estre mauvaises, comme offenser son prochain, je les fuys ; celles que je ne cognois poinct du tout, comme la mort, je ne les puis craindre. Parquoy je m’en remets à vous : car je ne puis sçavoir quel est plus expedient pour moy, mourir ou ne mourir pas ; par ainsi vous en ordonnerez comme il vous plaira. Tant se tourmenter de la mort, c’est premierement grande foiblesse et coüardise : il n’y a femmelette qui ne s’appaise dedans peu de jours de la mort la plus douloureuse qui soit, de mary, d’enfant ; pourquoy la raison, la sagesse, ne fera-elle en une heure, voire tant promptement (comme nous en avons mille exemples), ce que le temps obtiendra d’un sot et d’un foible ? Que sert à l’homme la sagesse, la fermeté, si elle ne haste le pas et ne faict plus et plustost que