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mains tant craignent et ayent en horreur que la mort : toutesfois il n’y a chose où y aye moins d’occasion et de subject de craindre, et au contraire il y aye tant de raisons pour l’accepter et se resouldre : dont il faut dire que c’est une pure opinion et erreur populaire, qui a ainsi gaigné tout le monde. Nous nous en fions au vulgaire inconsideré, qui nous dict que c’est un très grand mal, et en mescroyons la sagesse, qui nous enseigne que c’est l’affranchissement de tous maux, et le port de la vie. Jamais la mort presente ne fit mal à personne, et aucun de ceux qui l’ont essayé et sçavent que c’est, ne s’en est plainct ; et si la mort est dicte estre mal, c’est donc de tous les maux le seul qui ne faict pas de mal, c’est l’imagination seule d’elle absente qui faict ceste peur. Ce n’est donc qu’opinion, non verité, et c’est vrayement où l’opinion se bande plus contre la raison, et nous la veust effacer avec le masque de la mort : il n’y peust avoir raison aucune de la craindre, car l’on ne sçait que c’est. Pourquoy ny comment craindra-l’on ce que l’on ne sçait que c’est ? Dont disoit bien le plus sage de tous, que craindre la mort c’estoit faire l’entendu et le suffisant, c’estoit feindre sçavoir ce que personne ne