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le monde n’a que faire de nos pensées ; mais le dehors est engagé au public, et luy en debvons rendre compte : ainsi souvent nous ferons justement ce que justement nous n’approuvons pas ; il n’y a remede, le monde est ainsi faict. Après ces deux maistresses, loy et coustume, vient la troisiesme, qui n’a pas moins d’authorité et puissance à l’endroict de plusieurs, voire est encore plus rude et tyrannique à ceux qui s’y asservissent par trop. C’est la ceremonie, qui, à vray dire, pour la pluspart, n’est que vanité, mais qui tient tel rang et usurpe telle authorité par la lascheté et corruption contagieuse du monde, que plusieurs pensent que la sagesse consiste à la garder et observer, et s’en rendent volontaires esclaves : tellement que, pour ne la heurter, ils prejudicient à leur santé, commodité, affaires, liberté, conscience, qui est une très grande folie ; c’est le mal et malheur de plusieurs courtisans, idolatres de la ceremonie. Or je veux que mon sage se garde bien de ceste captivité ; je ne veux pas que lourdement ou laschement il blesse la ceremonie, car il faut condoner quelque chose au monde, et, tant que faire se peust, au dehors se conformer à ce qui se practique ; mais je veux qu’il ne s’y oblige et ne s’y asservisse poinct, ains que d’une galante et genereuse