sert, est tenu et appellé honteux, et n’y a rien de si honteux en la nature humaine : l’action de le perdre et tuer, honorable, et ce qui y sert est glorieux ; l’on
le dore et enrichist, l’on s’en pare, l’on le porte
au costé, en la main, sur les espaules. L’on se
desdaigne d’aller voir naistre un homme : chascun
court et s’assemble pour le voir mourir,
soit au lict, soit en la place publique, soit en
la campagne raze. On se cache, on tue la
chandelle pour le faire ; l’on le faict à la
desrobée : c’est gloire et pompe de le desfaire ;
l’on allume les chandelles pour le voir mourir,
l’on l’execute en plein jour, l’on sonne la trompette,
l’on le combat, et en faict on carnage
en plein midy. Il n’y a qu’une maniere de faire
les hommes ; pour les desfaire et ruyner, mille
et mille moyens, inventions, artifices. Il n’y a
aucun loyer, honneur, ou recompense assignée
pour ceux qui sçavent faire, multiplier, conserver
l’humaine nature ; tous honneurs, grandeurs,
richesses, dignitez, empires, triomphes,
trophées, sont decernez à ceux qui la sçavent
affliger, troubler, destruire. Les deux premiers
hommes du monde, Alexandre et Cesar, ont
desfaict chascun d’eux (comme dict Pline)
plus d’un million d’hommes, et n’en ont faict,
ny laissé après eux. Et anciennement pour le
seul plaisir et passe-temps aux yeux du peuple
se faisoient des carnages publics d’hommes :
homo sacra res per jocum et lusum occiditur :
— satis spectaculi in homine mors est : innocentes
in ludum veniunt ut
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