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le peuple du pôle

ma fortune. Mais que m’importait ? Imaginez un malade qui se croit perdu et à qui un médecin vient offrir une chance de guérison… Emporté par l’exaltation qui suit les bonheurs inattendus, je ne crois pas avoir pensé un seul instant aux difficultés matérielles de l’entreprise ; j’étais aussi sûr du résultat que si le ballon avait été construit, prêt à partir… Et j’étais sûr aussi qu’après avoir satisfait mon orgueilleux désir, après avoir contemplé la dernière des contrées vierges de la Terre, je ne souhaiterais rien de plus, que je pourrais guérir, vivre sans me faire l’esclave d’un nouveau rêve insensé, vivre comme le commun des hommes, vivre, enfin !…

Et bénissant le hasard qui avait sauvé deux hommes en les mettant en présence, nous nous embrassâmes soudain, Ceintras et moi, sans souci du lieu où nous nous trouvions, sans penser à ce que cela pouvait avoir de grotesque dans l’esprit des spectateurs à qui nos grands gestes et nos éclats de voix n’avaient pas échappé et qui, sans aucun doute, nous croyaient ivres. Ivres, nous l’étions en effet, de joie et d’espoir, et c’est en titubant un peu que nous sortîmes du café, au milieu des rires, en nous donnant le bras…

De toute la nuit nous ne nous quittâmes pas : nous fîmes des kilomètres le long des rues endor-