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le peuple du pôle

posés sur les objets par les générations des hommes y étaient demeurés attachés comme des souillures, des souillures que je devinais, que je voyais presque ; rien ne me semblait frais, neuf et digne d’être considéré sans une sorte de dégoût, pas même le cœur de la fleur épanouie à l’aube, pas même la pointe du bourgeon qui vient de crever l’écorce, pas même le sourire d’un enfant…

Des jours passèrent. Je n’avais ni parents ni amis et je vivais replié sur moi-même face à face avec ma hantise. Craignant de passer pour fou en révélant à quelqu’un les causes de ma tristesse, je ne m’étais jamais laissé aller à une confidence et, pendant dix ans, je fus seul à supporter le poids de mes pensées. Enfin, un jour, dans le café où me conduisaient quotidiennement le désœuvrement et l’ennui, je rencontrai par hasard Jacques Ceintras. Il avait été mon camarade, presque mon ami au collège, mais nous nous étions depuis longtemps perdus de vue. Nous causâmes. Après avoir banalement évoqué pendant une heure des souvenirs communs, nous nous abandonnâmes à de plus amicales confidences touchant nos existences présentes. Ceintras me raconta sa vie. En sortant de l’École Centrale, il s’était vu obligé, faute de fortune