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LA CRISE

si bien fait l’anatomie de ce cœur, elles l’ont défini avec tant de précision, chacune à son point de vue, qu’on ne voit pas bien ce que le saint religieux, si fin psychologue qu’il soit, pourra bien ajouter à ces analyses pénétrantes. Néanmoins, le jeune homme ne se connaît encore qu’à moitié, tellement est compliqué le mécanisme d’une âme d’adolescent ! Le diagnostic final sera suivi des prescriptions médicales nécessaires.


VI


La narration de Jean n’a pas duré moins d’une heure ; par des questions très précises, le Père a pu saisir l’enchaînement des faits, non moins que leurs antécédents au cours de cette dernière année scolaire. Le garçon qu’il a devant lui n’est pas un sensuel, au sens bas de ce mot ; il est même beaucoup trop candide, et c’est miracle qu’il ait échappé à l’immonde dépravation, à la névrose qui mine secrètement la jeunesse moderne. Toute la sève de ses dix-sept ans s’est concentrée dans son cœur et l’a congestionné, tandis que son imagination était éblouie de passionnants tableaux. Qu’elle est belle, l’adolescence, et combien passionnante est la culture de cette plante humaine dont la tendre frondaison commence à se couronner de fleurs ! Quel parfum, quel éclat, lorsque ces fleurs ne sont pas flétries ! Le Père Francœur ressent déjà pour ce tout jeune homme une affection profonde. Il y a une scène analogue dans les Évangiles, mais le disciple appelé par le Maître demeura sourd à cette voix. En sera-t-il de même pour l’âme si loyale qui vient de se révéler ? Elle porte encore les stigmates de douloureuses blessures et mérite tous les égards. Aussi bien, le bon Père ne cherche qu’à consoler, par de douces paroles, ce grand enfant qui a souffert et qui n’a pas fini de souffrir. Toute brusquerie serait un manque de tact.

— Mon fils, mon cher fils, dit-il, laissez-moi vous donner ce titre ; c’est donc la première fois que vous avez osé dévoiler à un prêtre tant de mystérieuses angoisses ! Vous ne sauriez croire combien je suis honoré de cette filiale confiance ! Moi qui suis si ferme avec mes jeunes gens, me voilà envahi d’émotion à cette heure où je commence à vous connaître. Vous auriez trouvé facilement au Collège un maître zélé qui aurait sympathisé avec vous. Mais vos dispositions intimes étaient alors difficiles à préciser ; elles se sont traduites depuis par des faits externes qui vous permettent maintenant de trouver les formules exactes de votre caractère.

« À défaut de prêtre, vous avez déjà rencontré providentiellement trois confidentes capables de recevoir tous vos secrets ; j’admire leur perspicacité peu commune Mais, cher enfant, elles n’étaient pas qualifiées pour faire votre éducation intégrale ; car il y a des mystères qui intéressent votre âge et qui n’étaient pas de leur compétence. Oui, Jean, l’évolution de l’être humain entraîne des dangers contre lesquels vous auriez dû être prémuni. C’est une page d’histoire naturelle qu’il faut approfondir sans fausse pudeur, quelque délicate qu’en soit la matière. Voici un livre tout scientifique et médical où vous verrez ce que je ne puis vous dire. »

Le Père, si expérimenté dans la prophylaxie morale de la jeunesse, tendit à Jean le beau volume du Docteur Surbled : Vie de jeune homme.

— Vous trouverez dans ce livre, ajouta-t-il, la clef des problèmes physiologiques que vous n’avez pas cru devoir envisager jusqu’à ce jour, par une honte bien naturelle ; mais votre candeur ne peut se prolonger indéfiniment. Vous verrez là que l’ignorance n’est pas la vertu, et qu’elle lui est même contraire en bien des cas. Nous pourrons commenter tout cela ensemble et je ne ferai aucune difficulté de répondre sans détour à toutes vos questions. Ne sommes-nous pas, nous prêtres, les médecins surnaturels de la jeunesse, et par conséquent ses initiateurs autorisés en tout ce qui concerne les relations entre l’âme et le corps ?

Après que vous aurez compris tout ce qu’il y a de délicat et de sublime dans les fonctions que Dieu a départies à sa créature, dès l’origine du monde, vous aurez une idée plus noble des vertus parfaites enseignées par Jésus-Christ, Fils de la Vierge et saintement épris de la Virginité. Vous placerez encore plus haut le commerce éminemment spirituel entre le sacerdoce et les cœurs purs. Cet amour pour les âmes, mon fils, vous l’avez déjà ressenti, au cours de ces vacances, sous une forme demeurée trop matérielle ; mais, malgré tout, vos passions naïves contenaient en germe les ardeurs conquérantes de l’apostolat.

— J’entrevois vaguement, dit le jeune homme, le sens de vos paroles. Votre sermon de tout-à-l’heure m’aurait fait croire que vous parliez pour moi, si j’étais venu vous voir plus tôt. Dans vos dernières réflexions, vous avez