Page:Chapman - Les Fleurs de givre, 1912.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ils vont, les yeux dardés dans la vapeur livide.
Jamais un canotier n’a sauté ce rapide.
Ils vont, ils vont, ils vont, et les grands pins du bord
Décroissent derrière eux comme un mouvant décor
Que déroule sans fin une main invisible.
Aux crans, où l’eau déferle avec un choc terrible,
Quelquefois les canots ont l’air de se heurter ;
Mais toujours les trappeurs savent les éviter.
Les roches maintenant se dressent plus nombreuses
Dans le bouillonnement des lames furieuses.
La flottille souvent disparaît tout d’un coup
Sous le jaillissement de la vague qui bout
Comme le flot marin fouetté par la tempête.
Et les batelets sont des copeaux sur sa crête.
Le parti va périr dans l’abîme écumant.
Ô surprise ! ô miracle ! un fantôme charmant,
Un ange aux ailes d’or, rayonne dans la brume,
En avant des chasseurs, et, glissant sur l’écume
De la vague, conduit du geste les esquifs
À travers le dédale horrible des récifs.
Et Cadieux, répétant de distance en distance
Ses coups de feu, toujours trompe la vigilance
Des Peaux-Rouges, qui n’ont pas vu les voyageurs
S’éloigner, entraînés au fil des flots rageurs
Du saut vertigineux, où la nuit sans étoiles
Étend déjà les plis ténébreux de ses voiles.
Par moments le divin pilote disparaît
Sous le dais ondoyant de l’immense forêt,