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Cruel comme le fer et comme le poison,
Et qui fera sombrer encore ma raison.
Que vais-je devenir si quelqu’un ne m’assiste ?
L’an dernier, je perdis mon époux, humble artiste,
Bon père, bon chrétien. Le découragement
Aurait pu me tuer dans mon délaissement,
Si le ciel ― dans la nuit toujours un rayon brille ―
N’eût voulu me laisser une petite fille
Qu’un vieil ami lointain gardait depuis quatre ans.
Son retour fut pour moi le retour du printemps.
Nuit et jour je cousais pour chasser la misère
Du foyer. Mais, hélas ! lorsque le vent contraire
Souffle sur une vie, il la fait tous les jours
Plus pénible et plus triste. Et j’étais sans recours
Sans force, sans espoir, sans rien qui me soutienne.
Je manquai de travail. Et je gagnais à peine
De quoi nourrir ma pauvre enfant, qui s’étiolait.
Encore si j’avais pu lui donner mon lait !
Elle mourut bientôt, comme l’ange s’envole.
Dans mes pleurs ma raison coula. Je devins folle,
Et je fus, un matin, internée à Beauport.
Je restai là deux mois. Quelle épreuve ! quel sort !
Qui donc saura jamais où le destin nous mène ?
Au retour, j’allai voir, une fois la semaine,
La fosse de ma fille en un coin écarté.
Comme l’argent manquait, je n’avais acheté
Qu’une croix de bois, sans nom, sans la moindre chose
Pouvant dire aux passants : « C’est là qu’Eva repose ! »