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de la ville. Cette maison était exposée au nord, et je n’avais rien à y craindre du soleil ; je donnai de l’or au cocher, je me fis ouvrir le plus bel appartement, et je m’y enfermai dès que j’y fus seul.

Et que penses-tu que je fisse alors ? Ô mon cher Adelbert, en te l’avouant, la rougeur me couvre le visage. Je tirai la malheureuse bourse de mon sein, et, avec une sorte de fureur semblable au délire toujours croissant de ces fièvres ardentes qui s’alimentent par leur propre malignité, j’y puisai de l’or, encore de l’or, sans cesse de l’or. Je le répandais sur le plancher, je l’amoncelais autour de moi, je faisais sonner celui que je retirais sans interruption de la bourse, et ce maudit son, mon cœur s’en repaissait. J’entassai sans relâche le métal sur le métal, jusqu’à ce qu’enfin, accablé de fatigue, je me roulai sur ce trésor. Je nageais en quelque sorte dans cet océan de richesses. Ainsi se passa la journée ; la nuit me trouva gisant sur mon or, et le sommeil vint enfin m’y fermer les yeux.

Un songe me reporta près de toi ; je me trouvai derrière la porte vitrée de ta petite chambre. Tu étais assis à ton bureau, entre un squelette et un volume de ton herbier ; Haller, Humboldt et Linnée étaient ouverts devant toi, et sur ton canapé Homère et Shakspeare. Je te considérai long-temps, puis j’examinai tout ce qui était autour de toi, et mes yeux te contemplèrent de nouveau, mais tu étais sans mouvement, sans respiration, sans vie.