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commander la mesure au parti qui va triompher ou pour arrêter des représailles qui, peu utiles dans le présent, restent toujours à la charge de l’avenir ; ce n’en est pas une au point de vue de la morale.

Ce rôle de modérateur, un peu prématuré, j’y consens, mais intrépide, fut celui de Chamfort. La preuve que la violence est la pente des esprits faibles, c’est que, dans les cataclysmes politiques, les défaillances éclatent plus particulièrement aux extrémités des opinions que dans leur milieu. Chamfort devait prouver, contrairement à l’opinion des multitudes, que le besoin de modération dans la victoire est un gage de fermeté et de constance dans la défaite. Dans sa hâte du bien, il crut que le fleuve débordé des idées nouvelles, après avoir emporté les choses, pouvait et devait négliger les hommes. Il pensa qu’après cette grande inondation nécessaire, son cours allait pouvoir devenir bientôt régulier et que ses eaux devaient être promptement navigables. Il paya du sacrifice volontaire de sa vie cette belle illusion et refusa héroïquement de lui survivre.

Comme tous ceux qui ne servent pas aveuglément un parti et qui, au lieu de le mener, se donnent la mission purement platonique de le conseiller ou de le critiquer, Chamfort a dû être et a été, à un moment donné, calomnié par tous.

Il y a, dans toutes les révolutions, des gens excessifs. Malheureusement, il semble que, dans toutes les révolutions aussi, ces gens-là doivent fatalement avoir leur heure. La chimère des partis extrêmes étant de posséder des remèdes à tous les maux, les nations, non moins crédules que certains malades qui, lorsque le danger augmente, s’adressent à des empirique s; les nations, impatientes des lenteurs des traitements réguliers, s’aban-