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— Me dédaignes-tu ?

— Je te loue de faire le bonheur des autres.

— Qui t’empêche d’y prendre ta part ?

— Parce que ce qui fait leur bonheur, ne ferait pas le mien.

— Aimes-tu mieux ta vie misérable ?

— Sans doute. Mon père est pauvre, je ne veux recevoir de lui que peu de chose, mais ce peu me suffit. Je n’ai donc pas besoin que tu me donnes davantage.

— Quelle vertu ! se dit Hatimthai, en se retirant.

Avant de rentrer dans son palais, il aperçoit Gemmade, qui portait avec peine un lourd fagot sur ses épaules.

— Pourquoi te fatigues-tu, lui dit-il, au lieu d’aller recevoir ta nourriture à la porte d’Hatimthai ?

Gemmade lui répondit :

— Parce que celui qui sait se suffire à soi-même ne veut rien devoir à Hatimthai.

Celui-ci réfléchit :

— Quelle noblesse, dit-il, dans un si pauvre homme. Et quoi ! n’aurais-je à ma porte, et même dans mon salon, que les deux parties les plus viles de l’espèce humaine ? et ceux qui ont un peu de vertu ou de fierté rougiraient-ils d’accepter mes bienfaits ?