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CONTES.




LA QUERELLE DU RICHE ET DU PAUVRE,

APOLOGUE.



Le riche avec le pauvre a partagé la terre,
Et vous voyez comment : l’un eut tout, l’autre rien.
Mais depuis ce traité qui réglait tout si bien,
Les pauvres ont par fois recommencé la guerre :
On sait qu’ils sont vaincus, sans doute pour toujours.
J’ai lu, dans un écrit, tenu pour authentique,
Qu’après le siècle d’or, qui dura quelques jours,
Les vaincus, opprimés sous un joug tyrannique,
S’adressèrent au ciel : c’est-là leur seul recours.
Un humble député de l’humble république
Au souverain des dieux présenta leur supplique.
La pièce était touchante, et le texte était bon ;
L’orateur y plaidait très-bien les droits des hommes :
Elle parlait au cœur non moins qu’à la raison ;
Je ne la transcris point, vu le siècle où nous sommes.
Jupiter, l’ayant lue, en parut fort frappé.
« Mes amis, leur dit-il, je me suis bien trompé :
C’est le destin des rois ; ils n’en conviennent guères.
J’avais cru qu’à jamais les hommes seraient frères :
Tout bon père se flatte, et pense que ses fils,
D’un même sang formés, seront toujours amis.
J’ai bâti sur ce plan. J’aperçois ma méprise.
Je m’en suis repenti souvent, quoiqu’on en dise ;