Page:Chamfort - Œuvres complètes éd. Auguis t4.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Kaled.

Eh bien ! est-ce ma faute à moi ? pourquoi faites-vous ensemencer vos terres par des savans ? est-ce qu’ils y entendent rien ? n’avez-vous pas des laboureurs ? Il n’y a qu’à les bien nourrir, et les faire travailler ! Regardez-le donc avec ses savans !

Nébi.

Et cet autre que vous m’avez vendu au poids de l’or, qui disait toujours : De qui est-il fils ? de qui est-il fils ? et quel est le père, et le grand-père, et le bisaïeul ? Il appelait cela, je crois, être généalogiste. Ne voulait-il pas me faire descendre, moi, du grand-visir Ibrahim ?

Kaled.

Voyez le grand malheur ! quel tort cela vous fait-il ? Autant vaut descendre d’Ibrahim que d’un autre.

Nébi.

Vraiment, je le sais bien ; mais le prix…

Kaled.

Eh bien ! le prix ! je vous l’ai vendu cher ? apparemment qu’il m’avait aussi coûté beaucoup ; il y a long-temps de cela. Je n’étais point alors au fait de mon commerce. Pouvais-je deviner que ceux qui me coûtent le plus sont les plus inutiles ?

Nébi.

Belle raison ! cela est-il vraisemblable ? est-il possible qu’il y ait un pays où l’on soit assez dupe !… Excuse de fripon, excuse de fripon. Je ne m’étonne pas si on fait des fortunes.