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— « Tes bras sont nerveux ? »

— « Parce que mon estomac leur donne de la force, et que je les exerce peu. »

— « Ton dos n’est pas voûté par les travaux ? »

— « Depuis qu’Hatimthai me nourrit, je ne me fatigue jamais. « 

— « De tout cela, je conclus que tu pourrais porter des fagots. »

— « Sans doute, et je serais alors inutile à la société. »

Hatimthai est tout à coup saisi d’étonnement.

« Sache, ajoute Zilcadé, quelle est ma philosophie. Il plaît à la vanité d’Hatimthai d’avoir des pauvres à sa porte ; il est peut-être orgueilleux, et peut-être heureux seulement de sa bienfaisance. Que m’importe ? Je reçois ses dons qui m’évitent les maux de la vie, et me laissent du temps libre que j’emploie à faire autant de bien que lui. »

Hatimthai est encore plus étonné.

« Sans doute, ajoute Zilcadé, quand j’ai reçu à ta porte le déjeuner du matin, je me sens fort et bien portant. Je vais chez cette pauvre et faible Rhége, qui demeure au bord du fleuve, et qui a six enfans en bas âge. C’est moi qui jette et qui attache ses filets ; et après le repas du soir, je vais les retirer. Le poisson qu’elle recueille ainsi, lui suffit pour nourrir sa famille. Dans le cours de la journée, je me promène au marché sans rien faire ; mais j’y vois le prix de chaque denrée, et je vais en rendre compte à nos riches marchands,