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comme on sait, est bien autre chose. Mais quant au ministère, il savait trop son monde pour ignorer que jamais un grand poète ne pouvait, en France, parvenir à une grande place : l’exclusion était trop formelle. Un simple amateur, un poète de société pouvait ne désespérer de rien ; l’abbé de Bernis en fut la preuve ; et depuis, un faiseur de petits vers, infiniment au-dessous de l’abbé de Bernis, Pezai, fut au moment d’être ministre. La raison en est simple : ils étaient ce qu’on appelait des hommes du monde, et dès-lors susceptibles de tout ; mais dès qu’on était formellement homme de lettres, on n’était plus homme du monde ; et dès-lors la ligne de démarcation était tirée : vous n’étiez plus propre à rien de considérable. Voilà nos mœurs ; et qui pouvait en juger mieux que Voltaire ?

« Nous l’avons envoyé espion chez le roi de Prusse ; et parce qu’il a arraché une seule phrase, il estime assez son savoir pour se croire un homme d’état. À présent, il cherche à plaire à madame de Pompadour ; mais le parti de la reine et des jésuites qui redoute ses opinions, est celui de tout le monde qui ne peut soutenir ses sarcasmes. »

Ce ton d’aigreur et de mépris entraîne beaucoup d’inconséquence et d’injustice. Le terme d’espion est ici très-déplacé, surtout dans la bouche d’un ministre, qui devait être expert en ces matières, et savoir que rien n’aurait été plus