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3^4 OEUVRES

de ces minutes dont le passage laisse d'aussi pro- fondes traces dans le cœur, qu'elles en laissent peu dans la mémoire. L'odeur d'une violette rend à l'âme la jouissance de plusieurs printemps. Je ne sais de quels instans plus doux de ma vie le tilleul en fleurs fut témoin; mais je sentais vive- ment qu'il ébranlait des fibres depuis long-temps tranquilles ; qu'il excitait d'un profond sommeil des réminiscences liées à de beaux jours. Je trou- vais, entre mon cœur et ma pensée, un voile qu'il m'aurait été doux, peut être.... triste, peut-être.... de soulever. Je me plaisais dans cette rêverie vague et voisine de la tristesse , qu'excitent les images du passé ; j'étendais sur la nature Tillusion qu'elle avait fait naître, en lui alliant, par un mouvement involontaire, le temps et les faits dont elle suscitait la mémoire, je cessais d'être isolé dans ces sauva2;es lieux : une secrète et indéfinis- sable intelligence s'établissait entre eux et moi ; et seul sur les bords du torrent de Gedro , seul , mais sous ce ciel qui voit s'écouler tous les âges et qui enserre tous les climats, je me livrais avec attendrissement à cette sécurité si douce, à ce pro- fond sentiment de co-existence qu'inspirent les champs de la patrie. Invisible main qui répands quelques doux 'momens dans la vie , comme ces fleurs dans un désert , sois bénite pour ces heures passagères, où l'esprit inquiet se repose, où le cœur s'entend avec la nature , et jouit ; car jouir est à nous , êtres irêles et sensibles

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