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passans la main qu’ils avaient coupée comme celle d’un ennemi public.

Par malheur, ce ne fut pas la seule méprise de cette extraordinaire journée. Certes, toute âme généreuse s’applaudira d’avoir vu les Suisses, en garnison à la Bastille, échapper par un hasard heureux à la punition que leur eût infligée la vengeance publique, si l’on eût su qu’eux seuls avaient fait couler tout le sang répandu autour de cette forteresse : mais on voudrait que des soldats français, des Invalides, bien moins coupables, n’eussent pas porté la peine de cette odieuse méprise. Ô vous ! stipendiaires étrangers, que le peuple français a crus ses amis, parce que vos maîtres ont trafiqué avec le sien de votre sang et de votre obéissance alors tournée contre la nation qui vous payait, cette nation généreuse ne reproche qu’à l’ignorance de vos soldats la conduite sanguinaire qu’ils tinrent dans cette occasion ; elle est l’ouvrage des officiers qui les trompent et qui les oppriment. Mais cet aveuglement cessera : frappés de la lumière que portera dans vos yeux la révolution française, vous apprendrez à juger ceux qui vous commandent, ceux qui vous gouvernent, et ceux qui vous ordonnaient de tirer sur le peuple. Vous vous direz à vous-mêmes : Il est bon, il est généreux, ce peuple, qui, un moment, crut impossible que nous eussions tiré sur lui, et qui, bientôt après, mieux instruit de notre conduite, nous pardonna ; c’est de son sein qu’étaient sortis