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56 OEUVRES

vingt-deux ans, s'enflammer tout à coup à la lecture d'une ode de INIalherbe, comme Malle' branche à celle d'un livre de Descartes , et sentir cet enthousiasme d'une âme , qui , voyant de plus près la gloire , s'étonne d'être né pour elle. Mais pourquoi Malherbe opéra-t-il le prodige refusé à la lecture d'Horace et de Virgile ? C'est que La Fon- taine les voyait à une trop grande distance ; c'est qu'ils ne lui montraient pas , comme le poète fran- çais , quel usage on pouvait faire de cette langue qu'il devait lui-même illustrer un jour. Dans son admiration pour IVIalherbe , auquel il devait , si je puis parler ainsi , sa naissance poétique , il le prit d'abord pour son modèle ; mais , bientôt revenu au ton qui lui appartenait , il s'aperçut qu'une naïveté fine et piquante était le vrai caractère de son esprit: caractère qu'il cultiva parla lecture de Rabelais , de Marot , et de quelques - uns de leurs contemporains. 11 parut ainsi faire rétrogra- der la langue , quand les Bossuet, les Racine, les Boileau en avançaient le progrès par l'élévation et la noblesse de leur style: mais elle ne s'enrichis- sait pas moins dans les mains de La Fontaine , qui lui rendait les biens qu'elle avait laissé perdre, et qui , comme certains curieux , rassemblant avec soin les monnaies antiques, se conijiosait un véritable trésor. C'est dans noire langue an- cienne qu'il puisa ces expressions imitatives ou pittoresques, qui présentent sa pensée avec toutes les nuances accessoires; car nul auteur n'a mieux

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