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M… et moi, avant que j’eusse occasion de lui rendre le service que je lui ai rendu, et que je pouvais seul lui rendre. Si tout ce qu’il a fait pour moi avait pu être suspect d’avoir été dicté par l’intérêt de me trouver tel qu’il m’a trouvé dans cette circonstance, s’il eût été possible qu’il la prévît, le bonheur de ma vie était empoisonné pour jamais.

— Ma vie entière est un tissu de contrastes apparens avec mes principes. Je n’aime point les princes, et je suis attaché à une princesse et à un prince. On me connaît des maximes républicaines, et plusieurs de mes amis sont revêtus de décorations monarchiques. J’aime la pauvreté volontaire, et je vis avec des gens riches. Je fuis les honneurs, et quelques-uns sont venus à moi. Les lettres sont presque ma seule consolation, et je ne vois point de beaux-esprits, et ne vais point à l’académie. Ajoutez que je crois les illusions nécessaires à l’homme, et je vis sans illusion ; que je crois les passions plus utiles que la raison, et je ne sais plus ce que c’est que les passions, etc.

— Ce que j’ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l’ai deviné.

— Un des grands malheurs de l’homme, c’est que ses bonnes qualités même lui sont quelquefois inutiles, et que l’art de s’en servir et de les bien gouverner n’est souvent qu’un fruit tardif de l’expérience.

— L’indécision, l’anxiété sont à l’esprit et à l’âme ce que la question est au corps.