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en plaçant, dans la comédie des Fâcheux un homme d’une valeur reconnue, qui a le courage de refuser un duel. Cet usage n’apprendra-t-il point aux poètes quel emploi ils peuvent faire de leurs talens, et à l’autorité quel usage elle peut faire du génie ?

Si jamais auteur comique a fait voir comment il avait conçu le système de la société, c’est Molière dans le Misanthrope : c’est là que, montrant les abus qu’elle entraîne nécessairement, il enseigne à quel prix le sage doit acheter les avantages qu’elle procure ; que, dans un système d’union fondé sur l’indulgence mutuelle, une vertu parfaite est déplacée parmi les hommes, et se tourmente elle-même sans les corriger ; c’est un or qui a besoin d’alliage pour prendre de la consistance, et servir aux divers usages de la société. Mais en même temps l’auteur montre, par la supériorité constante d’Alceste sur tous les autres personnages, que la vertu, malgré les ridicules où son austérité l’expose, éclipse tout ce qui l’environne ; et l’or qui a reçu l’alliage n’en est pas moins le plus précieux des métaux.

Molière, après le Misanthrope, d’abord mal apprécié, mais bientôt mis à sa place, fut sans contredit le premier écrivain de la nation ; lui seul réveillait sans cesse l’admiration publique. Corneille n’était plus le Corneille et du Cid et d’Horace ; les apparitions du lutin qui, selon l’expression de Molière même, lui dictait ses beaux vers,