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l’honnêteté la plus pure, obstacle qui, comme on sait, est le plus grand de tous pour la fortune.

— Lorsque Montaigne a dit, à propos de la grandeur : « Puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons-nous en à en médire », il a dit une chose plaisante, souvent vraie, mais scandaleuse, et qui donne des armes aux sots que la fortune a favorisés. Souvent, c’est par petitesse qu’on hait l’inégalité des conditions ; mais un vrai sage et un honnête homme pourraient la haïr comme la barrière qui sépare des âmes faites pour se rapprocher. Il est peu d’hommes d’un caractère distingué qui ne se soient refusés aux sentimens que leur inspirait tel ou tel homme d’un rang supérieur ; qui n’aient repoussé, en s’affligeant eux-mêmes, telle ou telle amitié qui pouvait être pour eux une source de douceurs et de consolations. Chacun d’eux, au lieu de répéter le mot de Montaigne, peut dire : Je hais la grandeur qui m’a fait fuir ce que j’aimais, ou ce que j’aurais aimé.

— Qui est-ce qui n’a que des liaisons entièrement honorables ? Qui est-ce qui ne voit pas quelqu’un dont il demande pardon à ses amis ? Quelle est la femme qui ne s’est pas vue forcée d’expliquer à sa société, la visite de telle ou telle femme qu’on a été surpris de voir chez elle ?

— Êtes-vous l’ami d’un homme de la cour, d’un homme de qualité, comme on dit ; et souhaitez-vous lui inspirer le plus vif attachement dont le cœur humain soit susceptible ? Ne vous bornez