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— Tout homme qui vit beaucoup dans le monde, me persuade qu’il est peu sensible ; car je ne vois presque rien qui puisse y intéresser le cœur, ou plutôt rien qui ne l’endurcisse ; ne fût-ce que le spectacle de l’insensibilité, de la frivolité et de la vanité qui y règnent.

— Quand les princes sortent de leurs misérables étiquettes, ce n’est jamais en faveur d’un homme de mérite, mais d’une fille ou d’un bouffon. Quand les femmes s’affichent, ce n’est presque jamais pour un honnête homme, c’est pour une espèce. En tout, lorsque l’on brise le joug de l’opinion, c’est rarement pour s’élever au-dessus, mais presque toujours pour descendre au-dessous.

— Il y a des fautes de conduite que, de nos jours, on ne fait plus guère, ou qu’on fait beaucoup moins. On est tellement raffiné que, mettant l’esprit à la place de l’âme, un homme vil, pour peu qu’il ait réfléchi, s’abstient de certaines platitudes, qui autrefois pouvaient réussir. J’ai vu des hommes malhonnêtes avoir quelquefois une conduite fière et décente avec un prince, un ministre, ne point fléchir, etc. Cela trompe les jeunes gens et les novices qui ne savent pas, ou bien qui oublient qu’il faut juger un homme par l’ensemble de ses principes et de son caractère.

— À voir le soin que les conventions sociales paraissent avoir pris d’écarter le mérite de toutes les places où il pourrait être utile à la société, en examinant la ligue des sots contre les gens d’es-